L’enfant à la crèche, salutaire?

L’enfant est le grand absent des débats autour de l’augmentation du nombre de crèches. Quels avantages et quelles perspectives pour lui? Eclairage avec Nathalie Nanzer, pédopsychiatre. Interview menée par coop.ch et apparue sur http://www.cooperation.ch/creche.

Coopération. Si les enfants pouvaient voter, décideraient-ils d’aller à la crèche, ou de rester à la maison?
Nathalie Nanzer. Ils préféreraient probablement rester avec leurs parents. De même que si l’on donnait le choix aux enfants en âge scolaire de ne pas aller à l’école, la majorité préférerait rester à la maison. A mon avis, il faudrait plutôt demander aux enfants s’ils souhaitent avoir des parents sereins ou non: et là-dessus, ils voteraient sans hésiter «oui». Parce que les crèches, ça sert aussi à cela. Entre parents et enfant, c’est un aller-retour, si vous voulez. Un enfant profitera beaucoup plus d’une maman épanouie, parce qu’elle travaille et qu’elle participe à la vie active, que d’une maman qui se voit forcée de rester à la maison toute la journée. Deux heures vécues le soir dans ces conditions valent bien mieux que toute une journée passée auprès d’une mère frustrée qui est mal dans sa peau. Ou qui en veut à son enfant parce qu’elle ne peut pas travailler. En un mot, le bien-être des parents va se répercuter sur leur enfant.

Si la possibilité se présentait de confier les enfants aux grands-parents, faudrait-il privilégier cette solution plutôt que les crèches?
Il n’y a pas une bonne manière de faire et une mauvaise. Tout dépend du contexte familial et social de l’enfant. Nous recommandons aux parents de placer leur enfant en crèche plutôt que dans la famille quand l’enfant a besoin de développer des compétences sociales, de sortir d’un contexte familial marqué par le repli, ou quand les parents ont des problèmes psychosociaux. Mais dans une famille qui va bien, et qui peut compter avec des grands-parents en pleine santé, l’enfant sera plus à l’aise chez grand-maman.

En crèche, l’acquisition des compétences sociales se fait-elle systématiquement?
La crèche en est une étape importante, voilà tout. N’oublions pas que la socialisation de l’enfant ne débute pas à la crèche, mais au moment où le bébé commence à faire attention à quelqu’un d’autre qu’à sa mère.

Lorsqu’on choisit l’option de placer son enfant, ne devrait-on pas d’abord discerner si l’enfant est à même de vivre cette expérience?
La crèche n’est pas l’occasion de la première séparation, l’enfant a déjà quitté ses parents à plusieurs reprises. Ceux-ci savent donc comment leur enfant réagit. Ils savent par exemple comment il se comporte quand c’est le moment d’aller au lit – s’il a peur, ou s’il s’endort facilement. Ils savent s’il est capable de passer de plus longs moments à jouer seul. La plupart du temps, ils sont donc à même de juger la situation. La séparation, ça s’apprend. Ce n’est pas quelque chose qui vient tout seul.

Cet apprentissage n’est-il pas le travail des crèches?
Pas uniquement. La crèche va jouer un rôle de tiers, en donnant des conseils aux parents et en les aidant à opérer une séparation progressive. Mais à la base, ce sont les parents qui accompagnent l’enfant sur le chemin de la séparation.

Et si l’on se rend compte que l’enfant a des difficultés, que faire? Consulter?
La première chose à faire, c’est se poser des questions sur soi-même, sur ses propres craintes, et pas uniquement sur les peurs de l’enfant. Nous rencontrons souvent des parents en consultation qui, à cause de leur trajet de vie par exemple, projettent leur anxiété sur l’enfant. Et celui-ci ressent tout. Les parents doivent se questionner pour découvrir comment ils se sentent eux-mêmes par rapport à la séparation. Au fond, n’est-ce pas moi qui ai peur? Moi qui culpabilise, en plaçant ma fille à la crèche? Et de quoi ai-je peur? Et pourquoi est-ce que je culpabilise? Finalement, le grand besoin de l’enfant au moment de la séparation, c’est de sentir que ses parents sont confiants et sereins. Plus les parents sont sereins, et plus cela aidera l’enfant à passer le cap et à tirer profit de l’expérience. Si malgré ces reflexions l’enfant reste inconsolable, une consultation spécialisée peut aider à mieux comprendre où réside le problème.

Le fait que l’enfant ait peur d’aller à la crèche, ou qu’il pleure, c’est donc normal.
Il est normal que l’enfant réagisse à la séparation. Mais plus il sentira ses parents solides, calmes et sûrs d’eux, et plus il lui sera facile de s’adapter. Et d’en profiter.

L’épreuve de la crèche permettrait donc à l’enfant d’apprendre à faire confiance en la vie?
Oui. Mais pour réussir cela, il lui faut être serein. Or il ne pourra l’être que si ses parents – qui sont ses seuls piliers pour l’instant – montrent cette sérénité en exemple. On demande toujours à l’enfant de faire confiance, mais qu’en est-il des parents? Est-ce qu’ils font confiance, eux aussi, dans les capacités de leur enfant à se débrouiller sans eux?

Un enfant ayant fréquenté une crèche deviendra-t-il plus sociable que celui qui n’est pas passé par là?
Je ne suis pas sûre que l’on puisse prendre ce raccourci… même si la crèche peut y contribuer. Beaucoup de facteurs jouent de concert dans la socialisation d’un individu. C’est d’abord dans la famille que tout se joue. Ce qui fera d’un enfant un individu sociable, ce n’est pas spécifiquement la crèche, mais l’attitude des parents: la manière dont ils auront su le laisser aller, se tourner vers l’extérieur pour qu’il fasse ses expériences.

Y a-t-il un âge limite, en dessous duquel il n’est pas conseillé de placer son enfant à la crèche?
On sait que lors des trois ou quatre premiers mois, l’enfant a besoin d’un contact privilégié avec une personne de référence. Et en général, cette personne, c’est la maman. Quelqu’un qui est proche de lui physiquement et qui suit ses rythmes de très près. Si la mère d’un enfant de cet âge se doit absolument d’aller travailler, il est bon qu’une autre personne joue ce rôle auprès du bébé.

Se pourrait-il que l’enfant «adopte» alors l’autre personne comme étant sa mère?
Aucun risque. Les enfants reconnaissent très bien leur maman. Des études ont montré que, dès les premiers jours de vie, le bébé capte l’odeur de la mère et ne la confond avec aucune autre.

Est-il vrai que les enfants placés en crèche tombent plus souvent malades?
Oui, bien sûr, du fait qu’à la crèche, l’enfant sera plus exposé. Il attrapera donc plus de virus et de germes que s’il restait à la maison. Nous courons les mêmes risques quand nous prenons des moyens de transport publics et que nous allons au travail ou ailleurs. Mais si le système immunitaire de l’enfant est en bonne santé, cela ne pose pas de problème majeur.

Actuellement, le personnel des crèches est-il suffisamment qualifié?
Il est bien formé pour les enfants qui vont bien. Le problème, c’est que nous avons de plus en plus d’enfants qui vont mal, qui ont des problèmes de comportement ou de développement, et pour lesquels les structures spécialisées manquent. Les éducatrices en crèche auraient besoin d’une formation complémentaire. A l’Unité de guidance infantile des HUG, nous avons une équipe d’intervention thérapeutique précoce, des psychologues qui interviennent dans les crèches à la demande de celles-ci et qui conseillent les éducatrices au sujet des enfants qui posent problème.

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