Par Ophélie Ostermann | Le 06 avril 2017, Le Figaro Madame
Pour certains parents, il est impensable d’imaginer son enfant tomber en descendant le tobogan à l’envers sur l’aire de jeux, être malmené dans la cour de l’école, ou faire un trajet seul en vélo. Pour quelles raisons ? À cause du danger, supposé partout. Pour l’éviter, ils anticipent, chapeautent, surprotègent, fliquent, quitte à réduire considérablement la liberté des petits. Seulement l’autonomie et la prise de risques sont strictement indispensables pour le bon développement de l’enfant. Anne Bacus (1), psychologue clinicienne spécialiste des questions familiales, et Nathalie Le Breton (2), journaliste et ex co-animatrice de l’émission Les Maternelles sur France 5, décryptent le phénomène.
Lefigaro.fr/madame.- Certains parents semblent de plus en plus anxieux. Cela peut les rendre surprotecteurs et surtout, toujours derrière leur progéniture. Qu’en pensez-vous ?
Anne Bacus : Il est évident que l’espace de l’enfant en liberté se restreint de façon drastique. Les angoisses des parents sont de plus en plus importantes et les petits sont presque toujours sous la surveillance d’un adulte. Quand on leur pose la question, ils considèrent pourtant l’autonomie des enfants comme une véritable valeur. Mais ils parlent d’une autonomie où ils se gèrent, mangent et s’habillent seul. Celle qu’ils pourraient prendre en s’éloignant de leurs parents, ils n’en veulent pas. Je remarque aussi qu’on ne laisse plus les enfants ne rien faire. Les adultes leur organisent constament leur temps. Quand ils s’ennuient, ils filent devant les écrans.
Nathalie Le Breton : Certains sont effectivement dans la surprotection, alors qu’il faut bien distinguer différents stades d’évolution de l’enfant. D’abord le bébé, qui nait vulnérable avec une immaturité motrice et a besoin de sa mère et de son père. Ensuite, l’étayage des premières années, où, grâce à un regard bienveillant, on le laisse découvrir des choses. Puis enfin la possibilité de leur permettre de prendre des risques. Ces parents surprotecteurs ont tendance à ne pas voir l’enfant évoluer et les maintiennent ainsi dans leur état psychologique d’enfants non-matures.
Comment expliquer ce comportement ?
A.B : De nombreux éléments rentrent en jeu. Dans certaines familles, l’enfant a pris une place qui n’est pas la sienne. Avant, les parents étaient l’élément central, maintenant le petit est un enfant-roi, si précieux qu’il est impensable de le laisser prendre des risques. Certains couples veulent aussi tout contrôler et ne se laissent pas le droit à l’erreur. Il ne faut pas non plus nier l’influence de la société. L’inquiétude du chômage, de l’avenir en général ou l’angoisse palpable à la suite des attentats peuvent aussi jouer. On veut protéger nos enfants de tous les risques… Mais cette attitude est contre-productive, car l’enfant n’apprend pas à faire face aux difficultés, celles d’aujourd’hui comme celles de demain. Sans oublier la pression de certains livres d’éducation « positive et sereine« , si exigeants qu’il faudrait avoir fait dix ans de méditation et trois longs séjours dans un ashram pour devenir un bon parent !
N.L.B : La pression sociétale est incontestablement très forte, les parents craignent d’être jugés en permanence et manquent de confiance en eux. C’est ainsi que certains préfèrent ne pas emmener leur petit dans les magasins de peur qu’il pleure ou s’énerve. Ce besoin de perfection en mène d’ailleurs certains au burn-out parental, car malgré tous leurs efforts, ils sont inévitablement mis en échec.
Comment se traduit le manque de liberté des enfants ?
A.B : On voit de plus en plus d’ados de 15 ans qui ne sont jamais partis en vacances ailleurs que dans la famille. Sur le plan scolaire, beaucoup se plaignent que leurs parents ne les écoutent pas. Ils disent « quand je leur parle des copains, ils me posent des questions sur mes notes ». On ne voit plus non plus de petits jouant au pied d’un immeuble ou allant seuls à l’école. Bien sûr, les parents prétexteront la dangerosité de la société. Mais cette dernière n’est pas plus dangereuse qu’avant, c’est notre perception qui est faussée.
N.L.B : Souvent, ce sont effectivement ces parents que l’on retrouve à la sortie de l’école, pour discuter avec l’instituteur(trice), dont ils contestent le regard. Ils réclament toujours plus de surveillance dans la cour car il est inadmissible pour eux que leur enfant tombe. Certains vont jusqu’à installer des caméras dans la chambre du bébé pour s’assurer qu’il respire et observer le moindre de ses mouvements. Comme nos enfants sont actuellement plus ouverts et développent une forme d’intelligence extraordinaire, nous avons aussi des parents qui les mettent au défi, les poussent à l’extrême à faire des choses qu’ils ne sont en réalité pas capables de faire. C’est ainsi qu’ils ne se construisent pas, et manquent de confiance en eux.
Quels sont les bienfaits de la prise de risques et de l’autonomie chez l’enfant ?
A.B : De nombreuses études ont montré que le cerveau d’un petit qui prend des risques se développe mieux et sera plus à même de gérer de futures situations de stress. Aux États-Unis, par exemple, ils retirent les balançoires des aires de jeux pour éviter les chutes. Mais c’est bien en tombant qu’ils apprennent la vie ! En grandissant, ils découvrent le monde et prennent confiance en eux. Si on évite toute prise de risque, l’enfant sera incapable de faire face à ce genre de situations une fois adolescent ou adulte.
N.L.B : Quand les parents se positionnent en observateurs des dangers physiques et psychiques, l’enfant peut se développer et se construire. C’est en tentant des choses, en faisant travailler son imaginaire et en prenant des risques, qu’il crée sa propre identité. La vigilance parentale n’est pas de la surveillance pénitenciaire.
Quelles conséquences engendrons-nous à les surprotéger ?
A.B : Le comportement peut créer des « adultes-enfants », collés à leurs parents, absolument pas préparés à la vie et incapables de prendre des risques. Si tous les ados mentent pour préserver leur jardin secret, il est aussi certain qu’un enfant de parents surprotecteurs mentira encore davantage. Il ne faut pas oublier non plus que l’on éduque en étant un modèle. Si nous sommes angoissés en permanence, ils le seront aussi.
N.L.B : En étant dans la bienveillance plutôt que dans la surprotection, on offre à l’enfant une sécurité affective qui lui permettra plus tard, de prendre des risques mesurés. S’il a fait ses essais durant l’enfance, l’adolescent aura en lui un garde-fou qui le préviendra du danger. Enferré dans la protection de ses parents, dans une règle très encadrante et très limitative, il n’aura qu’une seule envie : prendre des risques pour dégager ce principe. Si l’on est toujours derrière eux, ils se construisent une fausse idée d’eux-mêmes, de la vie. Et plus dure sera la chute…
Quels conseils donneriez-vous à des parents qui souhaitent lâcher la bride à leurs enfants ?
A.B : Ils doivent avant tout se faire confiance, c’est la seule solution pour qu’ils fassent confiance à leurs enfants. Arrêtons d’être constamment sur leur dos, ils sont solides et s’en sortiront. Quand ils sont petits, il faut les laisser en jeux libres, sans instruction, simplement avec du matériel en libre accès, des crayons, des feuilles ou autres, pour que l’imaginaire prenne la relève. Lorsque l’école organise des classes de découverte, il faut que les parents les laisser y aller, même si ça leur tord les tripes. On essaie au moins une fois. On peut également les responsabiliser dès la petite enfance à travers quelques tâches ménagères. Au lieu de donner de l’argent de poche à la demande, on peut également leur donner une seule fois, même si c’est peu, afin qu’ils gèrent leurs dépenses. Enfin, pour développer l’estime de soi, on peut les encourager à s’investir dans une association.
N.L.B : Il est primordial de se reposer sur le ou la partenaire, ses amis ou sa famille pour respirer. Il faut bien se rappeler que nous apprenons notre job de parents et que cela prend du temps. L’enjeu est surtout de laisser de l’autonomie à l’enfant de façon progressive. Il ne s’agit pas de nier les dangers, il faut évidemment s’adapter à son milieu de vie. S’il veut aller chercher une baguette de pain seul et que l’on est anxieux, commençons par l’accompagner et le laisser faire sous notre surveillance. Ensuite, laissons-le y aller avec son frère ou sa sœur, ensuite avec des copains, puis enfin seul. C’est bien cette latitude laissée dans l’action qui fera qu’il saura qu’il ne doit pas traverser quand le bonhomme est rouge, même s’il n’y a pas de voiture.
(1) Anne Bacus est auteure notamment de 100 façons de rendre son enfant autonome, éditions Marabout, 15, 90 €.
(2) Nathalie Le Breton est la fondatrice de Notiseoton.com, une plateforme dédiée à la littérature jeunesse, pour les enfants comme pour les parents. Chaque mois, elle sélectionne des ouvrages liés à une thématique particulière, comme les cauchemars, la mort ou encore la fratrie.
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